par Patrice Hernu
Sur la taxe carbone et l’opposition entre Ségolène Royal et Cécile Duflot, je conseille la prudence dans le jugement.
Ségo était la plus écolo des socialistes, peut-être grâce à Bruno Rebelle qui l’a certes quittée. Aussi faut-il regarder les choses à deux fois. N’est pas forcément politicien celui qu’on croit.
Je défends la taxe carbone depuis longtemps ; c’est le point focal d’une mutation décisive de la fiscalité.
Secrétaire général du mouvement, je l’avais introduite dans le programme de Génération Ecologie. Il n’a pas été possible de l’introduire dans la plateforme commune avec les Verts en 93 ! Quant à Michel Rocard, 1er ministre, il l’avait refusée à Brice Lalonde sous le prétexte qu’elle handicaperait l’industrie française. Ensuite, ce fut le refus quasi général de la taxe Delors fondée pour moitié sur la taxe carbone au niveau européen.
C’est pourquoi l’Europe a adopté le système des quotas qui, en l’état n’est pas applicable aux émissions diffuses.
En conséquence de quoi la taxe carbone proposée actuellement n’est pas une vraie taxe carbone. C’est une contribution climat-Energie, ce qui désigne bien clairement ses véritables objectifs. Même si la commission Rocard, et particulièrement son bras droit dans cette affaire, Yves Martin, dont le réseau France Bleue a continument publié les contributions depuis près de 4 ans, s’accrochent au concept de taxe carbone et aux mérites qui lui seraient attachés si… elle en était véritablement une. En s’accrochant à l’espoir qu’elle puisse en constituer une première marche comme n’a cessé de le dire Michel Rocard…
Mais elle ne peut pas en devenir une. Malheureusement. Parce que l’Europe, l’Allemagne et sans doute la Chine et les USA s’y opposent et que dès lors elle ne s’appliquera pas aux frontières : elle ne sera pas compensable comme une TVA comme cela aurait été le cas dans le système que nous (France Bleue) a proposé alternativement au sysème Hulot-Grandjean. L’OMC s’est même permis de compliquer la question en avançant qu’éventuellement la compensation pourrait s’appliquer aux quotas… s’ils n’étaient pas gratuits !
Or, pour l’heure et pour assez longtemps, ils le sont ! Le prix d’échange sur le marché des quotas est un jeu à somme nulle… sauf pour les banquiers… C’est pourquoi tout a été fait pour cacher qu’en fait les industries les plus polluantes, mais les plus importantes économiquement, seront exonérées de la contribution.
Le prétexte est donc que les industries compétitives subissent le coût des quotas dans le cadre de l’acccord sur le paquet climat-énergie européen négocié sous présidence française dans la perspective de Copenhague… L’argument est évidemment totalement FALLACIEUX et la décision de diviser par deux le taux proposé par Michel ROCARD, à la suite de toutes les études antérieures – soyons clair la Commission Rocard n’a servi à rien qu’à embrouiller la question dans un exercice classique de la politique de l’oxymore – procède d’une comparaison erronée. D’où la mauvaise conscience et la proposition d’une compensation. Car, au final, cette contribution pèsera bel et bien sur les ménages qui sont captifs d’une offre qu’ils ne maîtrisent pas. Trop faible pour réguler, mal assise pour inciter les acteurs responsables, cette contribution n’est donc pas une taxe carbone.
Elle n’est au final qu’un symbole politique. Ce qui en soi n’est pas forcément condamnable si l’addition n’est pas trop salée ! D’où l’idée du chèque vert pour rembourser son produit aux ménages et donc, si l’on pousse le raisonnement au bout de sa logique, ce chèque vert n’était qu’un chèque aux Verts pour leur contribution à la défaite du parti socialiste « productiviste ».
Or, Cécile Duflot est de ceux qui ont proposé ce système qui a empêtré le gouvernement… Je n’irai pas dans les détails de la manoeuvre. J’attends de voir. D’autant que finalement certains se sont émus et que le chèque vert n’est plus le chèque aux Verts imaginé par la Fondation Hulot et ses experts.
J’avoue ne pas avoir lu pour l’heure le détail de la position de Ségolène Royal. J’avoue me sentir plus proche du gouvernement que de Cécile Duflot ou de Martine Aubry ! Je reste convaincu que la taxe carbone, en soi, est un impôt d’avenir. Mais pas à n’importe quel prix. Il y a maitenant près d’un siècle que Pigou et d’autres ont défini les conditions dans lesquels un impôt pouvait constituer un bon signal prix pour le marché lorsque ce dernier n’intègre pas de lui-même l’impact des externalités. Il est assez curieux de voir qui, si on allait vraiment au fond des choses, la rigueur écologique est plutôt du coté de Bercy que des politiciens du développement durable.
L’écologie n’a pas fini de nous réserver des surprises. Devenue une évidence emblématique du siècle, elle en revêt également du coup une bonne part de ses oripeaux. N’est pas forcément le plus écolo celui qui en fait profession.
J’attendrai donc pour juger d’avoir en clair le dispositif proposé par le gouvernement. Quant à la querelle Duflot-Ségo, c’est clairement de la pure politique. Et c’est sans doute la rançon de la nécessaire victoire de l’écologie.
Patrice Hernu
Président de France Bleue
http://www.ecologiebleue.com/